Le muletier

 



Les attelages de mules apparurent dans la deuxième moitié du XXe siècle.

Jusqu’alors le traditionnel char à bœufs ou charrette à cheval servaient de moyen de transport. Les muletiers s’étaient spécialisés dans le charrois de lourdes charges de bois, de gravier, de matériaux de construction.

Les marchands de mules les faisaient venir du Poitou où se pratiquait leur élevage sur une vaste échelle.

On les dressait et au bout de 3 ans on les revendait dans les Landes.

Les cantons de Soustons, Morcenx et Tartas étaient les centres de ce florissant commerce. Parallèlement, l’élevage se pratiquait dans les mulassiers à Tartas, à Labrit, à Aire-sur-Adour, à Peyrehorade. L’effectif pour les Landes s’élevait à 12 000 têtes. A certains moments, le Conseil Général des Landes subventionnait l’acquisition des baudets poitevins et catalans.

 

"Dans la Lande, le long des mille sentes qui s'enfoncent dans le pignada pour l'exploitation de la gemme et du bois, il a fallu chercher une bête qui ne se fatiguât pas à charroyer dans le sable fuyant sous le pied, assez puissante de fibre et d'haleine pour enlever de lourds fardeaux sans s'épuiser, assez patiente et volontaire à la fois pour reprendre à volonté le collier. On a choisi la mule.

Avec une ossature aussi fine que dense, une musculature élastique, des tendons qui ne rompent jamais, ni trop légère, ni trop massive, elle possède ce désir inlassable d'être maîtresse de la charge, à ce point qu'arrêtée par son muletier pour souffler, elle repart seule, trouvant que c'est assez renâcler devant la tâche. Alors, tandis que le muletier, non pour l'exciter mais pour l'encourager, lui jette son cri singulier :"Choua ! Choua !" et l'enveloppe de coups de fouet comme des coups de pistolet, ramassée sur elle-même, lovée presque, tout entière bandée, elle se rue dans le collier jusqu'à ce qu'elle démarre l'écrasant fardeau. Des paquets de sable volent sous ses sabots, tout vibre : le fer, le bois, le cuir, et c'est un irrésistible arrachement ...

Depuis une époque reculée la mule est chez nous autochtone. Elle a été un long temps exclusivement pyrénéenne, en cela qu'elle naissait proche des monts, région de Nay, d'Oloron et de Lescuns dans les Pyrénées-Atlantiques, région de Tarbes et plus en arrière dans les Hautes-Pyrénées. Là, des maquignons de la Lande couraient les foires et les marchés ou mieux les maisons où des individus de choix leur étaient signalés, de 6, 12 ou 18 mois, et les amenaient ensuite chez eux pour les y élever en vue d'une vente ultérieure. C'est en ce sens qu'on peut dire que cette mule était ensemble pyrénéenne et gasconne, née dans la zone des monts, élevée et dressée dans la Lande.

Devant les besoins croissants de leur exploitation forestière, s'ajoutant à ceux de l'Espagne, et devant les perspectives d'un commerce rémunérateur le Landais se sont mis à leur tour à faire naître. Mules et mulets qui sortent aujourd'hui des élevages jalonnant la Lande, de Mont-de-Marsan à Dax, de Campagne à Roquefort, celui de Soustons en particulier, ne le cèdent en rien aux stations muletières des Hautes ou Pyrénées-Atlantiques.

Partout, la mule est considérée comme bête de travail et de croît, assurant l'un ou l'autre sur le bien, et le dernier pour le repeuplement de l'écurie et pour la vente, au même titre que le boeuf ou que le cheval ailleurs. Les Landais ne troqueraient pas d'animal. La mule est de beaucoup celui qui besogne le plus tôt et le plus tard. Attelée à un an et demi au besoin, on la trouve à trente même sous le joug. Elle abat un labeur double, ayant le pas le plus rapide, le plus sûr et le plus infatigable. Elle ne sait pas ce que c'est que boiter ou que s'époumonner; elle se plie à toute besogne, au champ, au bois, sur la route, sous le trait ou sous la selle. Enfin elle reste irremplaçable en terrain sablonneux. Tout autre qu'elle s'y rebute et s'y épuise. Aussi est-elle payée son poids d'argent. Une paire de mules adultes et de choix vaut de 250 à 300.000 francs (le prix moyen en 1950).

Une dernière qualité qu'on ne saurait oublier... La mule est essentiellement rustique, sans aucune exigence de régime, vivant où qu'elle soit sur les ressources du pays. Rustique encore en ce qu'elle se montre indifférente à l'habitat comme au climat, prête à affronter sans mal torrents de pluie à l'automne ou au printemps, torrents de feu l'été, quand la cigale crie de chaleur à l'ombre maigre des pins.

 

Pour servir à tant d'usages, avec tant de résistance et si longtemps, il va se soi que la mule est un animal sélectionné, résultat de croisements judicieusement poursuivis. Elle a son histoire comme toute bête qui devient individu de race. La mule primitive était fille d'une jument française, d'une jument commune, et d'un baudet catalan, d'un espagnol. Puis on se pourvut comme reproducteur du baudet poitevin. L'un et l'autre croisement, s'il donnaient des animaux râblés, solides, rustiques, les laissaient manquer de fibre et de sang, d'afflux nerveux, et partant d'énergie et de coeur, toutes choses indispensables pour l'exploitation intense du pignada.

On comprit que pour la mule comme pour le cheval la mère était le grand facteur de génération, animant pour ainsi dire autant qu'informant le produit. Or, comme l'on était au milieu du XIXe siècle, au moment même où dans cette plaine de Tarbes, naisseuse déjà de mules, se sélectionnait et se fixait une race chevaline, la race anglo-arabe, bientôt de pur sang, on eut l'idée de croiser les juments anglo-arabes avec les baudets catalans, eux aussi d'espèce pure. Comme les juments anglo-arabes sont des fleurs de race et les baudets catalans des rois de l'espèce asine, bien campés, musclés, superbes d'allure et d'expression, de haute taille, attaignant parfois 1m 60, on devait arriver, on arriva à des produits tout à fait de sang, avec des qualités que le mot comporte, car, me disait un éleveur : " Le sang ne trompe jamais chez l'animal" : on fit naître l'incomparable lignée de mules actuelle.

Cette bête varie comme taille de 1m48 à 1m65, suivant celle du père et surtout de la mère. Elle tient visiblement du cheval de selle. Elle en a la sihouette : la ligne de l'encolure et de la hanche qui allonge le type, la rondeur de la côte et la profondeur de la poitrine où réside le souffle, les membres denses, les tendons larges et nets, les pâturons sans poils, le tissu musculaire fin comme la robe. Par-dessus tout un afflux nerveux intense, qui est comme l'âme de l'admirable organisme.

 

Telle est la mule, serviteur de la terre landaise."

(Joseph De Pesquidoux "La Gascogne")


Les "bros" qui faisaient partie intégrante du paysage routier des Landes ont disparu définitivement à la dernière guerre mondiale.

................